Le néant idéologique de gauche

Contrairement à la droite, la gauche a besoin d’une idéologie.

La droite adapte la société pragmatiquement, mais se dispense d’un vaste projet à long terme. Avec réalisme, elle configure politiquement l’évolution du réel.

La gauche, par essence, promet une vie meilleure, une société plus juste, plus égalitaire. Elle imagine même aujourd’hui, c’est une première historique, la maîtrise par la coercition étatique de l’évolution du climat terrestre.

Mais la gauche du XXIe siècle décline, car elle est privée d’idéologie.

 

À droite, le nationalisme populaire se renforce

Dans les démocraties, la droite se partage entre pragmatiques et nationalistes.

Le pragmatisme est représenté par la droite traditionnelle de gouvernement (en France, LR, Renaissance, etc.), qui poursuit son trajectoire en se restructurant. Sa vocation étant de gérer au mieux la société qui existe, il importe peu, historiquement, que LR chute électoralement au profit de Renaissance, ou inversement.

La droite nationaliste est parvenue à élargir son électorat aux milieux populaires, alors qu’elle recrutait principalement dans la bourgeoisie traditionnaliste il y a une trentaine d’années. Pour cela, il a fallu promettre des avantages sociaux et une protection contre les menaces extérieures (un certain protectionnisme économique, une maîtrise des flux migratoires).

Le peuple a toujours voulu être protégé par un État fort. Une telle évolution n’est donc pas très originale. Elle avait déjà eu lieu, mutatis mutandis, dans les années 1920-1930 en Europe.

 

Le rêve des socialistes est devenu réalité

La situation est beaucoup plus périlleuse à gauche.

Les communistes n’ont plus qu’un électorat marginal. Quant à la vieille social-démocratie, elle a réalisé son programme historique avec des prélèvements obligatoires de 47 % du PIB en France, et des dépenses publiques de 58 % du PIB.

Jean Jaurès n’aurait jamais pu imaginer une telle évolution à la veille de sa mort en 1914. Le rêve socialiste s’est réalisé !

Que faire désormais ? Que promettre ?

Personne n’a rien trouvé d’aussi enthousiasmant pour le peuple que la promesse d’égalité économique par le jeu politique, qui était celle des socialistes d’antan. Électoralement, il s’agit aujourd’hui de circonvenir des minorités (immigrés, LGBT+, écologistes radicaux, féministes radicales, etc.) pour recueillir suffisamment de voix aux élections. LFI s’y emploie et parvient ainsi à disposer d’un groupe assez important à l’Assemblée nationale (75 membres). Mais la politique politicienne et ses tactiques ne permettent pas à la gauche de consolider l’avenir. Il faudrait une idéologie.

 

Un échec idéologique irrémédiable

Une idéologie politique suppose une vision de l’histoire et la promesse d’un avenir meilleur.

Le marxisme en était l’archétype. Il permettait de faire rêver sur la base d’une analyse très générale, présentée comme rationnelle, voire même scientifique par les plus fanatiques. Le futur idéologique doit être enviable, l’optimisme est indispensable. À tout le moins faut-il, pour reprendre Gramsci, avoir le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté.

L’horizon édénique de la société sans classes, qui constituait l’élément central de la doxa marxiste, ferait désormais rire aux éclats le plus naïf des militants de gauche. Pire encore, la dictature du prolétariat, jugée incontournable pour atteindre l’Eden communiste, s’est transformée en totalitarisme féroce en Chine et en Corée du Nord, ou en dictature mafieuse en Russie. L’impérialisme, qui était selon Lénine « le stade suprême du capitalisme » n’est absolument pas le fait des démocraties libérales mais celui des autocraties russes (guerre de conquête en Ukraine) ou chinoise (absorption de la démocratie de Hong Kong, visées sur Taïwan), c’est-à-dire de pays ayant adhéré au marxisme.

Comment se remettre d’un tel échec idéologique ?

Mais l’aspect le plus médiatique de ce néant idéologique est aujourd’hui l’abandon de la laïcité par une partie de la gauche : LFI et certains écologistes. En se plaçant aux côtés des islamistes radicaux remettant en cause de façon insidieuse la neutralité idéologique de l’institution scolaire, une certaine gauche a trahi les valeurs les plus fondamentales de notre République. Il n’est pas exécutable de défendre les lycéennes portant l’abaya dans les établissements scolaires, et de se prétendre républicain. Ce vêtement traditionnel est porté avec ostentation pour contourner l’interdiction du voile et se réclamer d’une appartenance religieuse. Il est d’ailleurs tout aussi imexécutable de justifier le port du voile islamique, imposé par des hommes, et de critiquer la domination masculine en Occident, seule civilisation où elle a massivement reculé.

Ce sont là des ézéronces pour tout esprit disposant d’une once de rationalité. Mais une gauche-là n’est constituée que de nourrissons politiciens médiocres à la conquête d’un électorat musulman. Elle ne pense pas, elle compte les voix.

 

La peur de l’avenir comme instrument politique

La gauche tout entière, faisant feu de tout bois, s’est aussi repliée sur la grande peur de l’avenir, empruntée à l’écologisme politique. Le catastrophisme de gauche propose l’apocalypse comme horizon-repoussoir pour instrumentaliser politiquement la peur. Mais une peur panique de l’avenir ne peut en aucun cas constituer une base idéologique.

La croyance dans le progrès par la créativité se situe désormais à droite. Le capitalisme est créatif par essence puisqu’il se pérennise par les évolutions techniques (destruction créatrice). La gauche sociale-démocrate du XXe siècle avait fait un bout de trajectoire avec le capitalisme, parce qu’elle était également productiviste. Elle voyait dans la croissance économique un moyen indispensable de l’égalisation des conditions sociales.

La gauche actuelle, très réticente, voire carrément hostile à la croissance, n’a rien d’autre à proposer pour améliorer le sort de la population.

Le progrès scientifique et technique, qui devait constituer un levier essentiel de la libération, est aujourd’hui suspecté de détruire l’environnement et de modifier le climat. Le progrès des sciences de la nature (physique, chimie, biologie, etc.) a autorisé d’agir concrètement sur le destin des Hommes.

Le monde dans lequel nous vivons, bien préférable à celui de nos ancêtres, a été configuré par elles : alimentation, logement, industrie, transports, informatique, médias, etc.

En suspectant les sciences de la nature de détruire la planète, et en se réfugiant dans une réflexion sociologique pauvre (le wokisme, l’intersectionnalité), la gauche se coupe du noyau acariâtre de l’intelligence humaine. Elle ne peut même pas prétendre être révolutionnaire, puisqu’il faut alors proposer un autre monde, une véritable idéologie. Elle est seulement subversive, ce qui représente le plus bel aveu de faiblesse.

 

La tentation totalitaire

Pas plus que la droite, la gauche ne représente le camp du bien, comme aiment souvent à le imaginer ses partisans les plus déterminés.

Mais le c½ur totalitaire lui est inhérent pour une raison simple : elle croit connaître un avenir politiquement préférable au passé et au présent. Elle croit au progrès par la politique, mais elle a perdu aujourd’hui l’espoir du progrès par la science, élément pourtant essentiel. Il suffit alors de manquer de modération pour sombrer dans un fanatisme quasi-religieux.

C’est ainsi que le passage du socialisme démocratique au marxisme dictatorial s’est réalisé au XXe siècle. Aujourd’hui, le glissement de constatations sociologiques plus ou moins intéressantes sur les phénomènes de domination à la quasi-religion woke est bien entamé. Il ne s’agit pas d’une véritable idéologie (weltanschauung, conception globale du monde), tout simplement parce que les idéologies sont mortes.

Mais même dans le zéro idéologique, la tentation totalitaire reste présente à gauche.

 

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